J'ai trop souvent oublié ma mère. En même
temps, comme pour tous ceux autour de moi, je ne voulais pas la déranger. Elle
a assez donné pour nous élever et nous protéger, je n'ai plus à lui parler de
mes problèmes. Je suis un homme après tout, on me dit que je dois prendre sur
moi.
Mes souvenirs les plus lointains me
ramènent toujours à l'amour. Même si j'ai encore cette impression que je ne la
voyais pas souvent, je sais qu'elle est toujours plus près que je le pense. Mes
deux parents travaillaient fort quand j'étais petit. Mon frère Jonathan est
arrivé vite pour me tenir compagnie et pour voir lui aussi qu'on était bien
chez nous. Parce que maman et papa travaillaient, mais, avant tout, ils nous
aimaient.
J'ai vieilli et le clan à grandi. Keven,
Mathieu, Cathy et Hugo n'étaient pas des bouches de plus à nourrir, juste de
nouvelles raisons d'aimer. Même si on s'engueulait, criait ou se battait...la
base de tout ça c'est qu'on s'aimait. Ma mère ne nous a jamais fait sentir
qu'ont était des fardeaux pour elle, même si on n’était pas une gang facile. On
aidait pas beaucoup dans la maison, on prenait de la place pis on se la fermait
pas. Malgré tout, maman nous faisait les plus beaux colleux du monde et elle
continuait sa journée. Si certaines personnes trouvent qu'avoir un enfant c'est
du sport, imaginez 6 ti-criss qui n’arrêtent pas.
À un moment donné, ça été plus difficile.
Mathieu est parti à cause de l'hiver pis cette énergie contagieuse qu'on avait
tous. Ça été très difficile pour mes parents. Les semaines et les mois ont
passé pis finalement ils se sont séparés. L'aîné que je suis venait de frapper
un mur. J'ai essayé de m'occuper de mes frères et de ma sœur pour que tout le
monde puisse passer à travers. À cette époque-là, j'ai vraiment essayé
d'oublier ma mère. Je lui en ai voulu longtemps parce que j'avais trop d'affaires
sur le dos en même temps : l'école secondaire et ses effets, le deuil de mon
frère, les problèmes d'un p'tit gars qui s'aime pas et cette séparation. Je
savais au fond de moi que je ne pouvais pas en vouloir à ma mère, la vie est
comme ça. Mais ça a quand même pris du temps avant que je puisse revoir ma mère
comme étant ma mère.
J'ai fini par partir en appartement, on se
voyait encore moins souvent. Les études, les chums, la boisson, les
filles...trop de chose qui ont fait que j'ai encore oublié ma mère. Mais elle ne
m’oubliait pas : une batch de sauce à spaghetti, un peu de sous à l'occasion
pour l'épicerie, des invitations nombreuses à souper, des appels, etc. Je
refusais au début, mais je finissais toujours par lui dire merci.
Ma mère a eu peur pour moi. Les gros
party, les peines d'amour, l'incertitude professionnelle...des trucs que
j'aurais dû porter tout seul, mais ma mère avait juste besoin de me dire :
"inquiète-toi pas, ça va passer" ou "c'est la vie" pis je
voyais déjà moins noir. Ma mère était fière de moi. Du théâtre au primaire,
au secondaire et au cégep. Elle ne m’a jamais dit que je perdais mon temps :
elle a cru en moi, en mon talent et ça c'est le plus beau des cadeaux. C'est, entre
autres, à cause d'elle que je suis devenu et resté un artiste.
À 30 ans, j'essaie de ne plus oublier ma
mère. Il y a la distance qui n’aide pas, mais j'essaye. Elle lit mes textes, on
s'appelle pas souvent, elle vient ici, je vais là-bas. Mais je pense toujours à
ce qu'elle me dirait si elle était là. À chaque fille que je rencontre, je me
demande si ma mère l'aimerait, pas que l'approbation de ma mère soit obligatoire, mais ça me fait rire de l'imaginer. Je me demande quel genre de
conseil elle pourrait me donner dans ma vie quand ça va pas, aux réactions
qu'elle aurait face à mes gaffes et autres niaiseries.
Je sais ceci : ma mère m'aime. Que je sois
vulgaire, imbécile, farceur, en criss, absent ou ingrat, ma mère ne changera
pas. Elle restera toujours ma mère.
Je t'aime maman. Même si tu as
l'impression que ton grand garçon t'oublie, sache qu'il est bien triste de se
rendre compte que c'est arrivé si souvent.
À la mère que je ne mérite pas : je
t'aime.