Il détestait ce genre de bar : de la musique électro
beaucoup trop forte, une chaleur suffocante et des gens complètement coupés de
toute réalité. Avec la foule qui s'agglutinait sur la piste de danse, il avait
de la difficulté à faire avancer son otage. L'éclairage, la musique et la foule
lui offrirent tout de même un avantage considérable vu la situation : la
discrétion. Personne n'avait remarqué qu'il tenait fermement son Beretta et
qu'il menaçait un jeune homme avec en lui plantant le canon profondément dans
le dos. La démarche maladroite de l'otage passa aussi inaperçue.
Il cherchait quelqu'un; un homme avec un surnom bizarre qui
contrôlait les voyons du quartier et leurs différents rackets. Depuis quelques
mois, rien n'allait dans les rues; autrefois on parlait de respect et de bonnes
relations, maintenant c'était une guerre ouverte. Deux de ses copains étaient
morts lors d'une fusillade dans un restaurant, un autre avait été enlevé puis
torturé...la rue changeait, il allait emboîter le pas.
Il faisait tellement chaud qu'il avait l'impression de
respirer de la sueur. Malgré la chaleur, il avait insisté auprès du portier pour
garder son manteau en lui donnant un billet de 100 dollars. C'est d'un pas
décidé qu'il entreprit de traverser la piste de danse avec son otage. Il y
avait trop de portiers près du bar et autour des danseurs, ils seraient plus discrets
en plein milieu de la foule. Pour s'assurer de la collaboration de son otage,
il lui avait également glissé une petite quantité d'explosif dans la bouche en
lui promettant de repeindre la salle avec sa cervelle s'il tentait la moindre manœuvre
pouvant lui nuire; c'était aussi une excellente façon de s'assurer de son silence.
C'est au centre de la piste que son coeur se mit à battre si
fort qu'il avait l'impression ne plus entendre la musique assourdissante et les
cris des fêtards. Une forte odeur d'alcool le ramena à lui. Plus il
s'approchait de sa cible, plus il devait motiver son otage à avancer. Une
pression accrue du canon de son arme dans le dos de ce dernier finissait par le
faire avancer. La marche était plus lente vu l'attroupement, mais rien ne
pouvait l'arrêter.
La première fois qu'il avait entendu parler du ''Prêtre'',
c'est après une histoire de surdose dans un appartement près du sien. Une
adolescente était morte après avoir pris des cachets que certains appelaient
''Corpus Christi''...le corps du Christ. Il s'était alors renseigné auprès
d'autres revendeurs pour savoir qui se faisait appeler Le Prêtre. Tout ce qu'il
avait pu savoir à ce moment-là, c'est qu'il s'agissait d'un gars qui avait
réussi à s'allier les différents gangs pour se former une véritable armée. Les
dirigeants de La Famille trouvèrent ses révélations inquiétantes, mais selon
les différents chefs, rien qu'ils ne pourraient régler.
Cet homme resta un mystère jusqu'au jour où le Consigliere
de la Famille fût assassiné dans sa maison en plein jour. Cloué à l'un de ses
murs, quelqu'un grava un message dans sa chair : ''Vous devriez écouter les
conseils et la voix de notre Seigneur.'' La maison était truffée de caméras
dont les enregistrements ne furent pas remis à la police.
La Famille découvrit que ce prêtre avait agi seul : un homme
sans trait particulier et avec une physionomie plus qu'ordinaire réussie tout
de même à maîtriser deux des gardes du corps et sa victime. D'un seul bras, il
souleva le vieux conseiller et de l'autre prit d'énormes clous dans son manteau
pour fixer sa victime au mur, et ce, sans marteau. Le seul signe distinctif
était le col romain que portait l'assassin...et ce regard vide et calme. C'est
après la mort de ses amis que le Prêtre et son organisation s’étaient révélés
au grand jour.
La musique semblait de plus en plus forte et la foule de
plus en plus agitée. L'excitation était à son comble. Son otage, un jeune trafiquant
qu'il avait questionné en menaçant la sœur de ce dernier, avait fini par lui avouer que son patron allait
être dans ce bar le soir même. Il fallait saisir cette chance. À l'autre bout
de la piste, un petit escalier menait aux tables et banquettes. Il se mit à
chercher l'homme au col romain; il ne serait pas difficile à trouver selon lui.
Après quelques minutes, son otage s'agita : un homme s'approchait. Il devait
être une connaissance de son otage, mais il n'avait pas le temps à perdre. Il
ne voulait pas être repéré par le Prêtre ou ses hommes. C'est lorsqu'il
cherchait une façon de se débarrasser de ce gêneur qu'il aperçut cet homme assis
et profitant paisiblement de la compagnie de jeunes femmes sur une banquette à
sa droite; il était le seul de tout le bar à porter un col romain. Il passa
rapidement sa main dans son dos pour dégainer un couteau qu'il avait dissimulé.
C'est à ce moment que son otage et lui tombèrent nez à nez avec celui les ayant
vues.
-Hey, mais qu'est-ce que tu fais ? Ça fait trois heures que
j'essaie de te rejoindre. C'est qui le connard derrière toi ? Hey, dégages sale
con !
Il allait pousser l'homme derrière son ami lorsque ce
dernier le poignarda à trois reprises dans l'abdomen en y laissant son couteau.
Il ne voulait pas tuer sans raison, mais il ne pouvait pas
perdre de temps. Il se dirigea aussitôt vers la banquette où était assis le
Prêtre; ce dernier ne le vit pas venir. Après quelques pas vers sa prochaine
victime, il entendit la foule réagir à son premier meurtre. La musique
s'interrompit au moment où il tira le premier coup de feu. La panique s'empara
des fêtards qui se ruèrent aussitôt vers les sorties.
La première balle vint se loger dans le bas ventre du Prêtre
qui ne réagit pas, puis une seconde en pleine poitrine, une troisième dans la
gorge puis trois autres dans la tête. Après quelques secondes tout était
terminé. C'est la rage qu'il l'avait conduit jusqu'ici, la nécessité tua un
homme qui se trouvant sur son chemin et la vengeance exécuta son ennemi. Après
quelques minutes, il était seul devant le Prêtre; le bar était complètement
vide. Une odeur de poudre de mêlait maintenant à celle de l'humidité et de la
sueur. Il observait paisiblement celui qui avait fait tuer ses amis et fait
tant de mal à la Famille. Ce qu'il lu sur le visage de sa victime le troubla :
du plaisir. L'homme portant ce ridicule col romain ne semblait, malheureusement,
pas avoir souffert. Il rengaina son pistolet, cracha sur le cadavre puis se
retourna pour quitter l'endroit.
C'est à ce moment qu'une voix l'interpella : ''Ne soyez pas
si prompt à quitter ma compagnie cher ami, n'ayez pas peur, je vous
expliquerai...vous savez ce que l'on dit : les voies du seigneur sont impénétrables
!''