samedi 24 décembre 2022

Faire son œuvre

Les pas qui mènent sur ce chemin me lacèrent les pieds, même sous mon étoile. J'oublie le temps d'attendre les sourires passagers, je brûle sans pleurer, pour me réchauffer et braver le vent.

Si tu passes par chez moi, n'oublie pas de me laisser un peu d'eau, que je puisse enfin m'abreuver et recommencer. Répéter mes refrains à la lettre, même s'ils sont morts bien avant moi. 

Le long de ma peau s'élance le courage sans dent qui voudrait, lui aussi, se nourrir de poésie plutôt que s'effondrer quand galopent les souvenirs aux célestes notes.

À mourir seul, je construis mon cachot sans fenêtre, sous de fracassantes rafales qui ne porteront plus jamais d'échos. J'ai trop d'histoires à comprendre, je n'ai plus le temps.

Célère oubli qui effacera les quelques sourires qui me reste. Je m'y perds à tous les jours, embrouillé, j'y plonge. 

Sur mon passage s'effaceront les paragraphes de cette fresque sans saveur, je noierai l'opportunité et rouerai de coups le proverbial s'annonçant destin.

Une dernière étincelle se perdant innocemment sans parler à la pénombre, me laissant compagnon de cécité à patauger dans ma poisseuse et vermeille existence.

Faire son œuvre, si seulement.


dimanche 11 décembre 2022

Respirer

Je m'effondre à chacune de mes inspirations.

Je me tiens debout sans fouler le sol, j'erre sans flotter.

À hurler seul, tout s'affaisse, déchire ce qui me retient.


Chercher sans jamais s'arrêter, sans comprendre.

Se jeter malgré tout en pâture, l'exemple récidiviste.

J'imagine l'après à l'envers, l'épine au ventre.


Je cours sur place, j'insulte le pas qui me guide.

J'attends la neige, les vents froids et la nuit.

Le refuge d'antan épousant enfin l'hymne qui s'oublie.


Comme les mensonges incrustés.

Perdus ou sinistrement retrouvés comme vérités.

J'y perds mon sens, l'envie et mon nom.

mercredi 7 décembre 2022

Pause

Le sommeil me l'offre, ce moment qui s'évade sans avertir, sans que je puisse m'y investir.

Un clin d'œil d'été, l'erreur qui s'impose.

Quand je dors, je suis enfin au ralenti. J'invente en sourdine, j'expérimente dans l'oublie.

J'y saute surpris, mais apaisé, au temps de caresses éparses, mais aussi fantasmées.

Puis je m'interromps, je me noie ignare sans un son.

dimanche 4 décembre 2022

Raconter

Raconter c'est tout.

L'histoire qui s'effrite sous les échauguettes en ruines.

Vous pouvez bien, sans retenue aucune, vous éventrer.


Soyez absents. Vous verrez.

Le temps passe comme l'innocence, cruellement.

Peu importe l'annonce.


Jugez les lettres d'autrui est ridicule.

Puisque, visiblement,  tous s'entremêlent.

Revendiquer, je vous en prie.


La solitude sauvage chante les plus beaux des hymnes.

Mais la ridicule jalousie n'est aucune psychose.

Pleurez amis, pleurez.

Le dos courbé chante, certes, mais aussi vous insulte.


Considérez-vous comme saluez.


mercredi 23 novembre 2022

La blague

On répète et transforme.

On s'enchaîne en somme.

Une traverse qui s'étend sans horizon.

Les idées qui s'affolent comme l'étincelle sans combustible.

Rien, malgré tout, ne s'éteint sans un son.

À force de rêves, l'histoire devient de plus en plus risible.

mardi 22 novembre 2022

L'écrou

Il faut laisser siffler le vent. 

Il s'emporte et revient. Sans lui, plus rien.

L'hiver s'installera bien, je vous l'assure. 

Embrassez-le, sans attendre, jusqu'à ce qu'il soit mûr.

Le printemps aussi s'évaporera, bien sûr.

Laissez-le partir je vous en conjure.


Devenons clichés et sermons. 

À quoi bon? Où irais-je sinon? 

Où tu trouveras le bon augure.

Celui qui bien avant toi jure.


Rien ici-bas s'acharne.

Le souvenir et le temps s'arrachent,

De vieux ressentiments hagards,

Avec d'intenses et malicieux regards.


Paix, qui m'est très chère.

Qui guète sans cesse ma proue.

Danse, car ma nuit telle la serre,

Me réchauffera pour faire face à l'écrou.

lundi 21 novembre 2022

Je reviendrai

Si je m'enfonce sans œillères dans le temps qui me passe, je m'enduis sans réfléchir et j'inventerai bien ce qui m'écrase.

Une vie qui s'écrit qu'avec des blancs et des pauses, mais qui se noie tout de même dans l'encre.

Je m'assommerai sans attendre à la prose.

Si enfin le rêve s'arrache aux souvenirs, je pourrai peut-être me défendre.

Parce que oui, je reviendrai. 

Sans vous attendre, je reviendrai.



mercredi 21 septembre 2022

Histoires de Gilgalim - 01 - L’expérience

Fos, dieu soleil de la vie et de la guérison, était déjà haut dans les cieux lorsque Luciano se réveilla. Heureusement en congé ce jour-là, le jeune mage profitait encore un peu de son lit. Une occasion plutôt rare lorsque l’on étudie à la faculté des Arcanes et des Sciences du royaume elfique de l’Ouest : Dwyr-Aldaran.

Le lit était confortable; la chambre renfermait des odeurs de feu de bois et de menthe, vu la grande quantité de cette odorante plante que le mage faisait constamment sécher. Certains pouvaient croire que profiter de sa couche aussi longtemps après le levé de l’Astre est une flagrante manifestation de paresse, mais il n’en n’était rien.

Ayant reçu son diplôme de la faculté il y a déjà presque cinq ans, Luciano était reconnu comme un mage passionné qui ne compte jamais ses heures quand il s’agit de ses travaux de recherche.

Il s’était justement couché tard la veille afin de poursuivre l’ébauche d’une présentation qu’il devait faire devant des étudiants de première année la semaine suivante. Le sujet et titre de cette présentation : L’éthique en matière de divination, l’affaire de tous! Il avait d’ailleurs choisi ce titre juste avant de regagner sa chambre, épuisé. Il allait sûrement le changer deux ou trois fois encore avant d’être totalement satisfait.

Encore fatigué, mais bien réveillé par les nouvelles idées pour son titre de présentation, il se leva d’un coup et se dirigea vers son petit poêle à bois pour y remettre une buche, puis vers son secrétaire afin de noter ses nouvelles idées sur un parchemin pour ne rien oublier. Il faisait bien confiance à sa mémoire, mais il pensait à trop de choses à la fois; difficile de mettre de l’ordre dans tout cela.

Luciano n’était pas très grand, 1m65 tout au plus, ni bâti, et ce, même pour un humain. Plutôt mince, il avait tout de même un petit ventre, témoin de son amour des sucreries, surtout celles de sa région natale, située au sud du Mitan. D’ailleurs, il était facile de déterminer les origines du jeune mage avec son accent prononcé rappelant parfois la langue des hobbits et sa chevelure brun foncé, tirant vers le noir et légèrement frisée. Malgré sa taille, il avait tout de même de grandes mains agiles, mais visiblement pas faite pour l’artisanat et de durs travaux.

Vêtu de sa robe de nuit tachée d’encre et après quelques minutes de prise de notes, il alla poser une bouilloire usée sur son poêle, de plus en plus chaud. Il était debout à jeter son regard clair sur la bouilloire et à attendre cette ébullition qui ne venait pas, mais aussi à penser en enroulant distraitement des poils de sa petite barbichette autour de son doigt.

Il se remémorait sa nuit à la bibliothèque. Il revoyait les pages parcourues avec minutie, curiosité et tentait de retrouver un passage qui lui était revenu en songe, mais dont il n’avait pas noté la référence. Était-ce dans Observations des plans d’existence grâce à la projection des énergies arcanes de la divination par maîtresse Valina ? Ou peut-être dans Abysses infernales, origines et présentation des présences démoniques en Gilgalim de l’archimage Pordim ? Le jeune Mitanois tentait bien de se rappeler, mais rien à faire. Peut-être que le tout lui reviendrait avec les premières gorgées de son infusion matinale.

Le mélange réalisé par un confrère herboriste l’aidait habituellement à se concentrer et à réveiller son esprit encore prit dans la douce étreinte d’Onyria, déesse des Songes. Malheureusement, même le délicieux breuvage n’y faisait rien; pas moyen de se rappeler de ce maudit passage. Agacé, il finit son infusion d’une traite et décida d’enfiler sa robe de mage grise ainsi que ses chaussures de cuir à boucles argentées afin de se rendre au réfectoire de la faculté pour y casser la croute.

 

***

 

De retour à sa chambre après un déjeuner léger et une longue discussion avec des collègues, il revînt avec quelques taches d’œufs qu’il n’avait pas remarquées sur sa robe. Un mouvement rapide des doigts et un mot prononcé dans la langue des arcanes suffirent afin d’évoquer un sort qui nettoya ses vêtements en un clin d’œil. L’un des premiers sorts que Luciano apprit à évoquer, vu sa propension à se salir, et ce, en toute occasion.

De nouveau présentable, il s’installa à son secrétaire afin de poursuivre son travail de la veille. Il reprit la rédaction de sa présentation : ‘’Avec l’avènement des différentes facultés et autres écoles enseignant les arcanes sur le continent, il n’est pas étonnant de constater l’intérêt accrue des autorités des royaumes afin d’encadrer la pratique des magies, même celles prenant leur source dans les sphères divines. Au-delà de l’encadrement des pratiques martiales, il est vite devenu évident que l’école de la divination aurait son lot d’enjeux à analyser.’’

C’est ainsi que le jeune membre de la faculté travailla presque toute la journée à écrire, corriger, penser et peaufiner le début de sa présentation. Il était honoré qu’on lui fasse confiance pour sa première intervention auprès d’aussi jeunes élèves, mais aussi nerveux vu la nature de l’exposé. En effet, l’éthique en matière de magie était, pour le jeune mage, un sujet primordial. Sujet à aborder afin de faire comprendre aux étudiants l’importance de leurs décisions lorsqu’ils utilisent ces pouvoirs pouvant mettre à genoux le plus puissant des guerriers et convaincre les monarques les plus têtus. Ainsi, il pesait et sous-pesait chacun des mots qu’il allait prononcer afin d’être des plus précis et laisser le moins de place possible à l’interprétation.

La lumière du jour s’est bien vite enfuie et laissa Luciano dans la pénombre, ce qui poussa le jeune mage à arrêter son travail afin d’évoquer, encore une fois, les arcanes pour éclairer sa chambre. De la paume de main gauche jailli une petite boule de lumière légèrement jaunâtre qui se mit aussitôt à éclairer toute la pièce. La couleur de la lumière était une touche personnelle.

Il tentait de terminer une phrase grâce à sa main droite, tout en évoquant sa lumière magique à gauche, mais quelqu’un vînt frapper à sa porte. Il sursauta, puis maugréa en voyant le trait d’encre laissé par sa plume à cause de la surprise. Il se leva, mécontent, et alla ouvrir.

Derrière la porte se trouvait un autre humain, un peu plus âgé que Luciano, l’homme portait une robe orange-grès, couleur portée par les membres de l’école de l’illusion. Mal attachée à quelques endroits, la robe révélait des membres plus musclés, une stature un peu plus imposante et une peau plus bronzée que celle de Luciano. L’illusionniste était appuyé sur le cadre de la porte, les bras croisés et une mèche de cheveux châtains s’étant échappée d’une queue de cheval mal faite qui lui donnait un léger air fantasque. Il s’agissait du professeur Mechel Goetz, collègue de Luciano, qui aidait beaucoup ce dernier depuis son arrivée en poste comme nouveau chargé de cours. Mentor pour tout ce qui a trait aux affaires facultaires, il était aussi un abjurateur compétent et un illusionniste talentueux. Lui aussi originaire du Mitan, il vécut le début de sa vie au nord, dans une petite ville située près de la frontière commune entre le Mitan et les Seigneuries du Septentrion. Mechel était toujours souriant, content et friand de discussions académiques. C’est grâce à cette bonne humeur que les deux hommes firent connaissance.

Lorsqu’il vit le visage mécontent de son ami lui répondre, Mechel afficha son plus grand sourire.

- Ha Luciano! Encore à travailler ta présentation j’imagine? Ne t’inquiète pas pour l’amour de l’Astre! Les élèves de première année sont toujours impressionnés par les nouveaux enseignants qu’ils rencontrent. Ils vont boire tes paroles, et ce, même si tu vas leur parler d’éthique.


S’esclaffa Mechel en entrant dans la chambre.

- Ne te gêne surtout pas! s’écria Luciano à demi sérieux, quand même amusé par la remarque de son collègue. Une infusion ?

- Non merci. J’avoue être un peu pressé par le temps, mais j’aimerais te parler de quelque chose de fascinant.


Mechel semblait agité, fébrile même. Luciano lui fit alors un geste de la main, l’invitant à s’asseoir. Ce que son collègue fît sans attendre, accompagné par son hôte, de l’autre côté d’une petite table. 

- Par Thavma ! Que se passe-t-il ? demanda Luciano. On dirait qu’on vient de t’offrir une promotion...C’est ça ? Est-ce qu’ils t’ont offert la place du professeur Eluïn?


Mechel s’esclaffa de nouveau et se mit à secouer la tête.

- Pas du tout. Penses-tu vraiment que les maîtres vont se débarrasser de l’un des leurs pour faire de la place à la jeunesse ? Ha ha jamais ! Et ce, même si le vieil elfe semble de plus en plus sénile. 

- Je ne savais pas que les elfes pouvaient être atteint de sénilité! s’exclama le jeune chargé de cours.

- Façon de parler Lulu. Non, je viens te voir pour quelque chose de bien plus intéressant que les vieilles peaux qui ne descendent jamais du sommet de la tour.


Luciano appréciait beaucoup la compagnie et les conseils de Mechel, mais ce genre de réflexion l’agaçait. Les maîtres-arcanistes de Dwyr-Aldaran étaient respectés et même craints sur tout le continent. Qu’est-ce qu’un homme comme son ami, simple professeur, avait tant à leur reprocher?

- Connais-tu le professeur Aymar de l’école de Conjuration ? lança Mechel en se servant dans une jarre à biscuits posée près du secrétaire.

- De nom seulement. Je sais qu’il a travaillé sur l’amélioration de la précision de certains sorts de téléportation, mais sans plus. Je suis à Dwyr-Aldaran depuis plus de quinze ans et je n’en suis jamais reparti. Alors la téléportation, très peu pour moi.

- Ne t’inquiète pas. Je ne suis pas venu te déranger pendant ta précieuse journée de congé, que tu passes à travailler, pour te parler de vulgaires sorts de transport.


Mechel s’approcha de son ami et lui glissa discrètement à l’oreille :

- Que dirais-tu d’assister à l’évocation d’une créature extra planaire ?


Le chargé de cours recula aussitôt d’un pas. D’abord surpris, puit intrigué par la proposition, il se rapprocha.

- Mais de quel genre de créature parle-t-on ?

- Je ne sais pas. C’est un ami qui travaille à la réserve qui m’en a parlé. Aymar a fait une demande afin de faire préparer les ingrédients nécessaires afin de réaliser, selon mon ami, un impressionnant rituel de conjuration. Il ne doit donc pas s’agir d’un simple sort d’invocation de volaille pour impressionner les nouveaux élèves. Avec les ingrédients demandés, il doit s’agir d’un bestiau d’une bonne taille. À part le poulet en première année, as-tu déjà vu un tel rituel à l’œuvre dans ta vie ?

- Imagine-toi donc que je n’ai même pas vu le poulet; j’étais malade cette journée-là. répondit Luciano, visiblement encore déçu d’avoir manqué cette démonstration.

- Tu vois! Ça serait l’occasion rêvée pour parfaire ta culture des arcanes, le tout exécuté par un des meilleurs conjurateurs du continent. Qu’en dis-tu ? demanda le professeur avec énergie.

 

Luciano se remémorait toute la déception qu’il avait vécu en ne pouvant se rendre en classe ce jour-là. Même si la conjuration ne faisait pas partie de ses sujets de prédilection, il sentait le jeune apprenti-mage qu’il était à l’époque trépigner d’impatience au fond de lui.

- Mais attends Mechel. Il me semble bien que l’archimage Pordim a interdit certains types de conjuration à l’intérieur des murs de la faculté. Je me trompe?

- Amusé, le Mitanois du Nord se reprit un deuxième biscuit.

- Pas du tout mon Lulu. Mais bon, le professeur Aymar et l’archimage sont loin d’être des amis. En fait, j’ai même déjà entendu Aymar dire qu’il trouvait Pordim beaucoup trop raisonnable et prudent pour diriger la faculté. Il disait que pour avancer en recherche arcane, il faut prendre des risques nécessaires que l’archimage refuse de même de considérer.

- Malgré tout le respect que je me dois d’avoir pour un professeur de la faculté; pour qui se prend-t-il ce Aymar? Selon lui, l’un des mages les plus puissants de l’histoire, l’un des plus publiés, et ce, sur de multiples sujets issus des arcanes ou non, n’a pas les qualités requises pour diriger la plus grande école de magie de notre monde ? Quelle ânerie !


Luciano, visiblement fâché par l’attitude du professeur Aymar, fit signe à Mechel de lui passer la jarre à biscuits, dans laquelle il plongea avidement la main aussitôt qu’elle fut à portée.

- Hey! Calme-toi Lulu! lança rapidement le professeur en voyant son ami qui commençait à se goinfrer de biscuits au beurre.

- Je ne fais que répéter ce qu’on m’a dit.


Il tenta alors de prendre un troisième biscuit, mais l’accès à la jarre lui fut refusé par la gourmandise du jeune mage contrarié.

- Ce qui m’importe, c’est qu’il est professeur-conjurateur et qu’il va faire une démonstration clandestine ce soir. Imagine ce qu’on pourrait voir comme créature! Enfin quelque chose qui vie en dehors de ces murs.


Le Mitanois du Sud ne savait plus quoi en penser. Le professeur Aymar était peut-être une sommité, mais son attitude et l’interdiction émise par l’archimage le faisait hésiter.

Absorbé par sa réflexion, il ne remarqua pas la petite main fantomatique évoquée subtilement par son ami. Elle flottait doucement dans les airs, au-dessus de la tête du pensif chargé de cours, transportant une pognée de petits bonbons rouges et bleus, subtilisés par magie dans un ramequin de cristal situé sur le dessus du secrétaire de Luciano.

Mechel fit furtivement naviguer sa main magique en évitant le regard perdu de son ami pour enfin venir déverser son butin dans une petite bourse de cuir, attaché à sa ceinture, au moment où le chargé de cours se retourna subitement vers lui.

- Quelle heure? Où dois-je me rendre? demanda Luciano à son compagnon qui affichait maintenant un très large sourire suite à son vol de haute voltige de sucreries.

- Ha me voilà ravi!


Luciano le coupa aussitôt.

- Je ne dis pas que j’y serai. Je m’informe c’est tout.

- Laisse-moi rire Lulu! Vu ce que tu penses du professeur Aymar, le seul fait que tu poses la question trahi ta curiosité.


Mechel se leva alors et se dirigea vers la porte de la chambre, sans répondre à la question de son ami. Ce dernier c’était également levé de sa chaise et attrapa un pan de la robe orangée du professeur.

- Bon allez, j’y serai. Où et à quelle heure?


Le professeur se retourna.

- Ha le voilà le jeune chercheur curieux et avide de connaissances que j’admire tant! Sois là deux heures après le couché de l’Astre. Présente-toi à la salle de classe du professeur Aymar. Il y donne déjà ses leçons de conjurations majeures, il y aura donc toute la place qu’il faut. Sur place, on te posera cette question afin de te permettre d’entrer : ‘’Que faites-vous lorsque l’on vous ment ?’’ Tu répondras : ‘’Je tire la langue.’’

  

***

 

Le bureau du professeur Aymar se trouvait, bien évidemment, à l’étage de la Conjuration, soit le troisième étage. Chaque école de magie avait son étage désigné dans la tour.

Luciano n’a passé que bien peu de temps à cet étage pendant sa jeunesse; alors il eut un peu de difficulté à trouver la salle en question. Les couloirs de pierres de la tour étaient tous éclairés par magie, soit avec des torches ou des lanternes enchantées, soit carrément des sorts de Lumière rendus permanents, selon les préférences de chaque école. Chez les conjurateurs, on s’éclairait à la torche magique.

Après une vingtaine de minutes de recherche, le jeune chargé de cours finit par trouver la salle où tout allait se passer; l’inscription au-dessus de la porte vînt confirmer le tout : ‘’Salle des conjurations majeures’’ Nerveux, il s’approcha de la porte et cogna timidement. La porte s’ouvrit avec fracas, laissant sa place à un elfe à la chevelure blonde tressée vêtu d’une robe bleue myrtille, brodée d’or et d’argent aux bordures et au col. Il portait un anneau d’argent et un autre de platine aux index de chaque main ainsi qu’une amulette d’or et arborant un magnifique saphir en son centre. L’elfe devait avoir au moins une tête de plus que Luciano, qui était toujours impressionné par le peuple des forêts.

L’elfe, à la chevelure plus dorée que tous les accessoires qu’il portait, se pencha vers le timide chargé de cours qui avait du mal à cacher sa nervosité.

- Que faites-vous lorsque l’on vous ment ? demanda calmement l’elfe qui observait l’humain du Mitan qui se trouvait devant lui à suer à grosses gouttes.

- Euh…je…ha oui! Je tire la langue…? tenta maladroitement Luciano, ne pouvant s’empêcher de bégayer.

- Soyez le bienvenu jeune homme, lança une voix dans la salle de classe.


L’elfe devant lui s’évapora aussitôt dans l’air, une illusion.

Difficile de voir d’où venait la voix qui venait de l’accueillir avec le nombre de personnes déjà présentes dans la salle. Des élèves, chargés de cours et professeurs discutaient dans cette grande salle circulaire de près de 20 mètres de diamètre, entourée de bibliothèques et d’armoires contenant différents ingrédients et instruments nécessaires à la pratique de la conjuration de hauts niveaux. Le tout dans une ambiance feutrée : une lumière tamisée et chaude en dégustant quelques breuvages et friandises, disposés sur une table de travail, placée près de la porte d’entrée.

Personne ne portait attention à l’arrivée du jeune Mitanois, alors il pénétra dans la salle. La porte se referma alors derrière lui. Il se retourna en entendant la porte, mais son attention fût finalement captée par des cris provenant d’un petit groupe de gens près du foyer, situé de l’autre côté de la salle.

- Hey Lulu, ici! cria Mechel en faisant signe de la main. Il discutait avec d’autres professeurs que le jeune mage reconnut.


Luciano fît mine de rire en entendant son ami et s’approcha de lui pour le tirer à l’écart du groupe.

- Es-tu obligé de m’appeler comme ça en public? Je préférerais que tu évites à l’avenir.

- Hey, nous sommes amis ou pas? demanda Mechel, amusé par la remarque. Tu es trop sérieux. Laisse-moi donc t’agacer un peu. Allez, oublies ça et laisse-moi te présenter les collègues.


Il prit alors son ami par les épaules et l’attira vers le groupe qui continuait de discuter.

Le chargé de cours se sentait encore insulté par la salutation très peu discrète de son ami, mais s’approcha tout de même du trio avec lequel discutait Mechel : une elfe de la cité-forteresse de Saelfelarin portant une robe rouge, un nain du royaume de Bärum portant une robe verte, ainsi qu’une humaine d’Hélios, l’Empire du Sud, portant une robe bleue.

- Chers collègues, laissez-moi vous présenter mon ami, monsieur Luciano Sahiri, chargé de cours auprès des nouveaux élèves ainsi que chercheur-divinateur. Luciano, permets-moi de te présenter la professeure Veriulyn Vamaris de l’école de l’évocation; le professeur Jorfak FendClou du clan du Maillet et de l’école de la transmutation et, finalement, la charmante Elana Baros, professeure à l’école de la conjuration.


Toutes et tous saluèrent poliment le nouvel arrivé. Pendant que Luciano entama la conversation avec l’elfe et le nain, Mechel était déjà à complimenter l’humaine du sud et, visiblement, elle ne détestait pas le Mitanois du Nord.

Les conversations allaient bon train, la quinzaine d’invités discutaient de magie, de la qualité de l’accueil de leur hôte et, bien évidemment, de l’événement de la soirée. Grâce à différents sorts, la nourriture et les verres flottaient partout dans la salle en direction des invités afin que tous puissent en profiter sans de désister à leurs intéressantes compagnies.

Luciano était à parler éthique magique avec le professeur FendClou lorsque toute la salle fût interrompue par un claquement sec et très bruyant. Toutes les personnes présentes dirigèrent leurs regards vers l’origine du claquement : l’elfe ayant reçu Luciano à son arrivée, puis disparu, était de nouveau devant eux. Seulement cette fois, il ne s’agissait pas d’une illusion.

- Le voilà enfin, murmura Mechel en se rapprochant de Luciano, accompagné de la mage du sud.

- Mais qui-est-ce ? demanda Luciano, intrigué.

 - C’est Aymar, bougre d’abruti, laissa tomber Mechel en rigolant avec la professeure Baros.


Agacé par la moquerie de son ami, Luciano s’avança de quelques pas afin de mieux voir leur hôte.

Le grand elfe à la robe bleue c’était placé au milieu de la salle et s’adressa à ses invités, confiant.

- Chers collègues et amis, bienvenus en cette douce nuit. J’espère que vous avez bien mangé et bien bu, mais n’hésitez surtout pas à continuer de vous servir tout au long de notre soirée. Je peux vous offrir les meilleurs vins de la région, ainsi que plusieurs bières et eau-de-vie naines. Je tiens d’ailleurs à remercier le professeur FendClou pour quelques bouteilles provenant de sa collection privée.


Tous se mirent à applaudir leur hôte, ainsi que le mage nain, bien fier en se gonflant le torse à la mention de ses bouteilles. Le professeur Aymar leva alors la main afin de faire diminuer les applaudissements.

- Et soyez sans crainte. Je sais que certains d’entre vous sont venus en ayant en arrière-pensée les directives complètement dépassées de l’archimage. Même que d’autres ont tout simplement refusé mon invitation. À ceux-là je dis : ‘’Tant pis!’’ Il est plus que temps d’oser dans cette faculté.


À la mention des directives et vu le vocabulaire utilisé par leur hôte pour qualifier ces dernières, Luciano fronça les sourcils, mécontent, et se retourna vers Mechel. Mais ce dernier ne portait attention qu’à la jolie professeure du sud qui lui retournait ses regards langoureux et ses murmures.

- De plus, dit Aymar confiant, notre cher archimage est absent de la tour depuis un bon moment déjà. Soyez donc rassurés, nous serons tranquilles et personne ne sera réprimandé pour sa présence ici.


Ce dernier commentaire mettait le jeune chargé de cours encore plus mal à l’aise et se retourna de nouveau vers son ami illusionniste, mais il ne reçut comme réponse qu’un signe de la main l’invitant à se retourner. Agacé par le manque de sérieux de Mechel, Luciano reporta encore une fois son attention sur leur hôte.

- Rapprochez-vous chers amis. Ne soyez pas timides ou intimidés. Surtout pas! Nous sommes ici pour étudier un phénomène arcane rare et qui mérite l’attention de cette faculté ainsi que les éminents membres de son corps professoral.


Le professeur Aymar claqua alors des doigts et s’éloigna du centre de la salle pour se placer près du foyer. Toutes les armoires de la salle s’ouvrirent d’un seul coup et différents objets commencèrent à s’envoler des tablettes et des tables de travail pour se lancer dans une danse qui semblait avoir été répétée des milliers de fois tellement elle semblait naturelle.

Une table se déplaça d’elle-même près du professeur Aymar qui roulait les manches de sa robe pour libérer ses bras et ses mains de toute gêne. Sur la table vinrent se placer des bocaux d’ingrédients, des instruments chirurgicaux, plusieurs feuilles de papier, des plumes et de l’encre. Une fois sur les feuilles de papier, les plumes se redressèrent sous l’effet de sa magie, prêtent à noter les observations du professeur-conjurateur.

Tous s’approchèrent pour voir la préparation de cette fameuse expérience. Même Luciano, toujours agacé par l’attitude du professeur Aymar, fini par se laisser prendre au jeu et s’approcha un peu, pas très loin derrière Mechel, visiblement plus motivé que son compatriote.

- Hey! Approche-toi! lança l’illusionniste en faisant un signe de la main au jeune chargé de cours.

- Sans façon. Je préfère regarder le spectacle avec un peu plus de recul afin de ne rien manquer. C’est la première fois que je suis témoin d’un tel phénomène, alors je préfère cela. De plus, même si je m’approche, pour voir tous les détails, je ne comprendrai rien. Je laisse ma place aux vrais conjurateurs. Ne t’en fais pas.


Un mensonge pour dissimuler ses craintes, mais qui fonctionnait vu le regard approbateur lancé par Mechel avant de se retourner pour continuer de chuchoter à l’oreille de sa voisine.

Pendant l’explication mensongère du chargé de cours, des ingrédients s’étaient mis à flotter au-dessus du centre de la salle et y déverser leurs contenus. Le tout avait débuté par une grande bourse de cuir remplie d’un mélange de sable, de sel et de poudre d’argent qui vînt dessiner un grand cercle de six mètres de diamètre au centre de la salle. Tous s’étaient alors éloignés, laissant toute la place à la magie du professeur-conjurateur.

Des runes-arcanes furent aussi dessinées avec le même mélange tout autour du cercle. Luciano pouvait reconnaître plusieurs d’entre-elles : certaines devaient servir à créer le passage inter-planaire permettant l’évocation de la créature, mais d’autres étaient sans aucun doute de nature abjuratrice, visant donc à protéger les invités et garder la créature sous contrôle. Le jeune chargé de cours s’attarda particulièrement à celles-ci, seul élément familier pour lui dans tout ce rituel.

Lorsque le cercle fut dessiné, Aymar attrapait des fioles au vol afin d’y verser le contenu dans le cercle, puis se retourna vers la table près de lui et plongea ses deux mains dans deux grands bocaux, contenant des ingrédients liquides dont la nature échappait à Luciano, trop loin pour bien voir.

L’elfe se mit alors à frotter ses mains ensemble et à prononcer les incantations du rituel en langue arcane. L’air de la salle se mit à tournoyer le long des murs, le feu du foyer se mit à augmenter en intensité et une odeur étrangère à l’endroit se mit à se répandre : une odeur marine. La cité elfique était à des semaines de voyage de la côte; d’où pouvait donc provenir cette odeur?

Plus le rituel avançait, plus la voix du conjurateur gagnait en volume et ses gestes en précision. Après quelques minutes à répéter les mêmes formules et à se concentrer sur le cercle dessiné au centre de la pièce, ce dernier commença à émettre une discrète lumière bleutée qui gagnait également en intensité. Tous les invités étaient ravis d’assister à un tel spectacle. Même Mechel avait délaissé le regard enflammé de la mage du sud pour porter toute son attention sur le rituel.

Des invités prenaient des notes, d’autres se servaient à boire, mais une chose était claire, tous commentaient, entre-eux et à voix basse, l’expérience à laquelle ils assistaient. Luciano était de ceux qui s’était servi à boire. Nerveux devant tant de nouveauté, il devait se calmer. Un petit verre d’eau-de-vie naine aux champignons devrait faire l’affaire. Il bu le contenu du verre d’un seul coup, comme le veut la tradition. Agressé par la force du breuvage, mais vite calmé, il se retourna pour voir le professeur Aymar frapper ses mains ensemble au-dessus de sa tête et finaliser le rituel.

Le claquement fut si fort que certains durent se boucher les oreilles. Mais une fois les mains du conjurateur jointes, une quantité d’eau se mit à jaillir du cercle, et ce, sans se propager dans toute la salle de classe. Luciano compris aussitôt : le cercle les protégeait de la créature qui était appelée, mais aussi de tout élément provenant de l’autre plan d’existence, d’où provenait ladite créature. Tout cela était réellement fascinant.

Le cercle était rempli d’eau et plus rien ne bougeait. Aymar, occupé à nettoyer ses mains, s’approcha du cercle afin de mieux observer ce qui s’y passait. Les invités semblaient perplexes.

- Ha! Maintenant que le rituel est complété, voyons voir si la formule était bien adaptée.


L’elfe déroula ses manches et alla toucher au cercle en prononçant quelques mots dans la langue arcane. L’eau alors se mit à bouger à l’intérieur du cercle et à faire de grosses bulles comme si elle bouillait, mais aucune chaleur ne s’en dégageait. Soudainement, un des invités s’exclama tout haut.

- Cher confrère, je crois que vous avez invoqué une créature fort intéressante et que trop peu de nos confrères et consœurs ont eu la chance de voir dans leurs carrières. Je peux affirmer que nous avons devant nous un élémentaire d’eau. Un véritable élémentaire d’eau mes amis!


Le visage d’Aymar s’illumina et des applaudissements retentirent dans toute la salle. Un élémentaire! Ces êtres provenaient des plans élémentaires d’existence et étaient principalement composés de l’élément dominant de leur plan : la terre, le feu, l’air ou l’eau. Il était assez rare de les retrouver en Gilgalim et bien des mages pouvaient passer toutes leurs vies sans jamais en voir un seul.

- Approchez vous chers collègues, venez observer l’élémentaire en toute quiétude. Il ne pourra rien faire en dehors du cercle. Profitez de cette occasion unique, dit fièrement le professeur Aymar, de retour lui aussi à la table des rafraichissements pour se servir une grande coupe de vin.


Ainsi, beaucoup se rassemblèrent autour du grand cercle et de l’élémentaire d’eau afin de discuter du rituel et de la créature, mais d’autres restaient à l’écart afin de profiter des victuailles et féliciter le conjurateur responsable d’une telle prouesse.

De son côté, Luciano était resté bouche bée par le talent du conjurateur et la créature se trouvant parmi eux. Il n’osait trop s’approcher, mais alla tout de même rejoindre Mechel, qui revenait au cercle avec deux coupes de vin effervescent.

- Merci Mechel pour l’invitation! Vraiment! C’est bien mieux qu’un poulet!

- Ha ha ha! Je t’avais bien dit de me faire confiance, répondit fièrement l’illusionniste N’est-ce pas une merveille que cet élémentaire?

- C’est fascinant! Je me demande…mais regarde Mechel, regarde l’élémentaire!


Au moment où Luciano allait poser sa question, il vît la masse d’eau s’élever au centre du cercle et prendre une forme humanoïde, comme si l’élémentaire tentait d’imiter ceux qui l’observaient.

- Je me répète peut-être, mais c’est vraiment fascinant.


Le jeune Mitanois du Sud allait s’approcher davantage, mais l’élémentaire se braqua soudainement dans le cercle. La créature commençait à être agitée et on l’entendait émettre d’étranges sons, malheureusement incompréhensibles. Les autres invités furent surpris, mais sans plus. Luciano, lui, avait vu autre chose : l’eau dans laquelle se trouvait l’élémentaire commençait à bouillir à sa base, un peu comme à son arrivée. Plus le temps avançait, plus la créature s’agitait et poussait des cris. Comme Luciano, d’autres invités commençaient à s’interroger sur le comportement de la créature.

- Que se passe-t-il ? cria sans gêne le jeune chargé de cours qui sentait sa nervosité le gagner à nouveau.

- Rien du tout je vous l’assure, insista le professeur Aymar, tentant d’être rassurant. Les créatures évoquées grâce aux arcanes n’aiment que très rarement être hors de leur plan et encore moins être sous l’emprise de la magie pour être tenue à carreau. Ne craigniez rien, il…

Le conjurateur n’eut pas le temps de terminer sa phrase.

L’élémentaire se mît alors à hurler ce qui semblait être des mots, mais dans un langage inconnu par les gens sur place. Il se débattait soudainement et tentait de s’échapper du cercle magique, mais rien à faire.

Les invités s’agitaient, mais Luciano restait immobile, tétanisé par l’horreur à laquelle il assistait. L’élémentaire d’eau hurlait de plus en plus fort, frappait dans les airs pour trouver une sortie pour que ses coups ne finissent que par atterrir sur la barrière magique créée par le cercle de protection dessiné au sol.

Tous prirent leur distance et se retournèrent vers le professeur Aymar qui avait encore sa coupe de vin à la main, paralysé par la surprise. La créature devait être sous son contrôle à son arrivée sur le plan matériel…alors que ce passait-t-il?

Luciano ne porta nullement attention au professeur-conjurateur qui laissa tomber sa coupe de vin pour se précipiter vers une armoire d’ingrédients. Le regard du chargé de cours était rivé sur l’élémentaire qui continuaient de luter contre la protection magique, alors que l’eau qui le composait bouillait de plus en plus. L’air sec de la salle laissait sa place à une brutale et lourde humidité qui vint s’abattre sur les convives. C’est alors que bien des gens dans la salle comprirent ce qui se passait : l’élémentaire souffrait. Ce n’était pas la rage qui animait cette soudaine violence, mais la douleur.

Plusieurs collègues du conjureur demandèrent la fin immédiate de l’expérience, mais ce dernier, le nez dans ses armoires, finit par réapparaitre avec plusieurs flacons et fioles entassées entre ses doigts.

- S’il-vous-plait chers amis, un peu de calme. Je vais renvoyer l’élémentaire dans son plan! Reculez, laissez-moi de la place.

 

Tous obéirent et se turent afin de laisser travailler le professeur Aymar et mettre fin à cette malaisante et cruelle expérience. Luciano regardait toujours la créature faite d’eau se transformer en vapeur et hurler des mots que nul ne pouvait comprendre.

Aymar lança alors ce qu’il tenait entre les doigts vers le cercle en hurlant le mot de pouvoir annonçant la fin du rituel…mais rien ne se passa. Les fioles et flacons éclatèrent au sol, laissant se déverser leurs contenus, sans aucun effet. Tous regardèrent le conjureur, lui aussi horrifié par la tournure des événements.

C’est alors que tous les mages de la salle se mirent à lancer contre-sorts et autres sorts de dissipation de la magie…mais encore rien à faire. Le groupe s’agitait de plus en plus, le calme laissait sa place à la colère, la frustration, mais aussi l’impuissance. Sous fond de cris de douleur assourdissants, les mages de la faculté se querellaient. On aboyait des insultes et injures au professeur Aymar, à ses détracteurs, à ses supporteurs, bref, à tout le monde. Le seul qui ne criait pas, c’était Luciano.

 Il regardait toujours l’élémentaire d’eau souffrir dans sa prison qui le tuait à petit feu et se demandait quoi faire. Il ne pouvait rivaliser avec les expertises de ses éminents collègues; au fond, il n’était qu’un nouveau chargé de cours. Mais il devait bien y avoir quelque chose à faire. Il n’en pouvait plus de ses affreux hurlements qui lui fendaient le cœur. Il fallait en finir avant que cette pauvre créature ne meure enfermée dans un autre monde que le sien, seule et affligée par ce qui semblait être une intenable souffrance.

Le jeune homme, perdu à travers la tempête formée par cette dispute, l’humidité et les lamentations de l’élémentaire, chercha son ami Mechel du regard. Il s’était déplacé pendant la vague de sorts lancés pour contrer le rituel, mais depuis, il l’avait perdu de vue.

- MECHEL! MECHEL! VIENS M’AIDER! IL FAUT LA SAUVER! hurla Luciano, gagné par la panique.


Il leva les mains dans les airs pour attirer l’attention de son ami. Ce qui fonctionna, au grand soulagement du jeune homme. Mechel était pris entre un enchanteur et un évocateur qui se disputaient pour régler ce problème de conjuration à coups-de-poing.

- DÉFAIT LE…il reçut alors un bon coup au menton qui l’envoya quelques pas vers l’arrière.

- QUOI? J’AI RIEN ENTENDU! répondit bruyamment Luciano qui n’en pouvait plus.


Mechel revint aussitôt dans la mêlée, armé d’un pied de chaise qu’il laissa s’écraser sur le crâne de l’enchanteur, origine du coup au menton.

- DÉFAIT LE CERCLE DE PROTECTION LULU!


Oui! Enfin la solution qu’il attendait. Encore une fois, Luciano se félicitait d’être devenu l’ami de Mechel, il lui en devait une. Malgré l’ordre de son ami, le chargé de cours hésitait vu sa grande nervosité et son incompétence flagrante en conjuration. Mais si cela pouvait libérer l’élémentaire et lui permettre de retourner sur son plan d’existence, il fallait tenter le coup.

Luciano prit son courage à deux mains, avança de quelques pas pour s’approcher du cercle de protection et, du bout du pied, dispersa le sable, le sel et l’argent qui le composait, ainsi que quelques runes. Dès que le cercle fût brisé, la barrière magique s’effondra et, dans un éclat aveuglant de lumière bleue, l’élémentaire d’eau disparu. Tous alors se turent et se retournèrent vers Luciano, lui-même surpris.

- Merci jeune homme! J’allais justement le faire! cria sans retenue le professeur Aymar en voyant que la crise semblait définitivement écartée.

- Mon œil! répondit Mechel, au même volume que le professeur-conjureur, comme pour le provoquer. Tu as fait n’importe quoi pour faire ton important Aymar, mais au fond tu viens de nous montrer que ton talent est peut-être grand, mais pas assez pour cacher ton incompétence! Il aurait pu y avoir des morts!

- Mais voyons cher collègue, vous exagérez. Je peux comprendre votre réaction. Pris de panique, vous ne savez comment réagir. C’est souvent ça avec les illusionnistes, de grands pratiquants dans les académies et salles de classe, mais sur le terrain, les nerfs lâchent. C’est connu.


Tous se retournèrent alors vers Mechel dont le visage prenait de plus en plus de couleurs. D’autres collègues illusionnistes allaient protester, mais tous furent interrompus par le professeur FendClou, qui essuyait un peu de sang sur son front.

- PAR THAVMA, ASSEZ! Nous avons autre chose à faire que nous quereller. Chers collègues, ce qui vient de se produire est plus que curieux, c’est inquiétant. Dois-je vous rappeler qu’un élémentaire d’eau n’est fait que d’eau…alors pour amener cette immense quantité d’eau à ébullition aussi rapidement, il a fallu une intervention magique, et ce, sans le moindre doute possible. La seule source de chaleur de la salle étant le feu du foyer. Vous conviendrez avec moi que cette chaleur est nettement insuffisante pour en arriver aux tristes événements de ce soir. Alors que s’est-il passé ? Quelle chaleur ou quel feu a pu affecter cette pauvre créature de la sorte ?


Aussitôt que le professeur FendClou termina sa phrase, de gigantesques flames noires et rouges, telles la nuit et du sang s’entremêlant, jaillirent au centre du cercle.

- Le mien, dit une voix si forte et profonde qu’elle fit frissonner d’horreur tous les invités, qui c’était aussi rendu compte que cette réponse n’avait pas retenti dans la salle, mais bien dans leurs têtes.


Paniqué, Luciano jeta un regard à son ami Mechel, lui aussi terrifié et paralysé. Un silence de mort régnait dans la salle de classe à la suite de la soudaine intervention de cette voix inconnue et menaçante. Le jeune chargé de cours voyait que certains des mages invités commençait à évoquer les arcanes, mais lui ne pouvait rien faire : ses mains et sa bouche, comme tout le reste de son corps, étaient paralysés par la peur. Il n’était pas le seul.

D’autres arcanistes continuaient de regarder dans la salle, épouvantés, à la recherche de l’origine de cette réponse, mais rien.

- SORTEZ D’ICI! FUYEZ!, lança sans retenue le professeur Aymar, plus pâle que Pérasme le Passeur.

- HA HA HA! C’est ça, FUYEZ! Ni la course, ni vos hurlements et encore moins votre ridicule magie ne pourront vous sauver!


La voix caverneuse venait de se manifester à nouveau, mais cette fois, elle semblait provenir du centre du cercle de protection.

La réaction du groupe ne se fit pas attendre. Les arcanistes toujours en possession de leurs moyens se retournèrent tous vers le cercle pendant que les autres se mirent à courir vers la porte de la salle de classe.

Luciano, toujours près du cercle, senti pour la première fois une chaleur étouffante provenir de ce dernier. Mais en son centre, rien d’autre que le sol de la salle, intact. Il se retourna vers son ami illusionniste qui tentait d’évoquer un sort, mais sa nervosité et les fuyards l’en empêchèrent, avant qu’il soit emporté par ses collègues courant vers la porte.

Au moment où le premier invité posa la main sur la poigné, le plancher au centre du cercle vola en éclat, projetant de nombreuses pierres enflammées dans toutes les directions. Plusieurs mages furent blessés par l’explosion, mais nul ne pu réellement voir l’étendue des dégâts, puisqu’avec le feu et les pierres vînt l’obscurité.

Une insondable noirceur se jeta sur les invités. Des cris de frayeur et de rage se mirent à retentirent dans toute la salle; Luciano tomba à genoux, la tête entre les mains à réciter un vieux poème que sa mère lui lisait les soirs de nouvelle lune, lorsque la nuit dominait tout et que la peur lui déchirait le ventre :

‘’Le goblin aussi dort, mais sous l’unique Astre,
Les ténèbres craignent sa lumière d’Or, l’embrasser, pour elles, est désastre,
Danse sans retenue petite fée, rien ne pourra jamais nous enlever,
La paix et l’amour de cette vie, que passe la nuit et les rêves inassouvis.’’


Le Mitanois du sud répétait sans cesse le court poème de sa mère; pour fuir la peur ou tout simplement pour étouffer les cris de ses collègues. Ils ne s’agissaient plus de cris alimentés que par la peur ou le courage, mais aussi par la douleur. Des cris qui déchiraient cette noirceur et qui prenaient directement au cœur, en tout point semblables à ceux de l’élémentaire. Des collègues et amis mouraient dans d’atroces souffrances, mais Luciano continuait sa litanie en pleurant, impuissant.

Des sorts étaient lancés dans l’obscurité, soit pour briser la soudaine obscurité ou tout simplement pour se défendre contre cet ennemi resté inconnu. Nul encore ne sut s’il avait fait mouche, mais tous réalisèrent que les arcanes ne suffiraient pas à briser cette sombre prison.

Le son des hurlements, prières à hautes voix et autres jurons venaient de plus en plus couvrir celui de la bataille. Mais, en quelques secondes, on n’entendait que quelques voix qui finirent toutes par s’éteindre dans de cauchemardesques gémissements.

- Paaaar…pardon…, laissa faiblement s’échapper le professeur Aymar. Il…il faut…il faut trouver…l’archima…


Tels furent les derniers mots du professeur-conjurateur; derniers mots qui échappèrent à Luciano, la tête encore réfugiées entre ses mains. Il était là à répéter sans cesse le poème de sa mère lorsqu’il fût ramené à la réalité par l’humidité qui gagnait les pans de sa robe de mage. Il se releva surpris, effrayé et étouffé par la chaleur, puis se mit à sentir cette odeur qui dominait maintenant la pièce, celle du sang.

Pris par la panique, Luciano se précipita dans la direction où il croyait pouvoir retrouver la porte de la salle de classe devenue tombeau. Il se lança dans l’obscurité en tentant de retenir ses larmes et ses cris. Il devait quitter cet endroit.

Le silence était revenu. Tout ce que le survivant entendait, c’était le bruit de ses pas maladroits qui tentaient de trouver un chemin entre les bouts de cadavres, sur lesquels il trébuchait plus souvent qu’autrement. Sa robe était imbibée du sang de ses collègues, la peur et la chaleur rendaient sa respiration difficile et bruyante, mais il avançait.

C’est en se relevant d’une autre chute dans une mare de sang que le jeune mage senti l’espoir lui caresser le visage sous forme d’une courant d’air frais. Il ne pouvait que s’agir de la sortie. La porte devait être ouverte et laissait entrer de l’air frais. Enfin debout, il se mit à courir maladroitement pour trébucher à peine un mètre plus loin.

Étendu de tout son long sur le plancher de la salle de classe, il sentait la brise nocturne de la forêt de Dwyr-Aldaran l’appeler vers la sortie, toujours dissimulée par cette ombre brulante. Il allait enfin pouvoir sortir de là et appeler de l’aide. L’espoir plus que le sang alimentait le cœur de Lucinao.

Épuisé, il tenta plusieurs fois de se relever, mais rien à faire. Il retomba dans le sang et les cadavres pour finir par ramper vers le courant d’air. Chaque centimètre parcouru était interminable, mais il allait y arriver. Ses longs doigts finirent par atteindre le cadre de la porte ouverte, il y était enfin. Il y plaça ses deux mains et commença à se tirer tranquillement hors de la salle de classe.

Il réussit enfin à extirper le haut de son corps de l’obscurité. Il vit le couloir de pierres éclairé aux torches magiques et sentait la fraicheur du vent qui se faufilait dans l’ouverture des fenêtres lui fouetter le visage. Il se mit à pleurer et rire à la fois, toujours ébranlé, mais soulagé d’avoir survécu.

- L’espoir vous rend tellement délicieux, murmura la Voix, visiblement amusée par la tentative de fuite du survivant.


Luciano senti alors, dans l’obscurité de la salle de classe, une énorme et puissante main agripper ses deux chevilles à la fois. La chaleur de la salle lui brulait les jambes et cette monstrueuse main le tirait vers l’intérieur. Il hurla à l’aide tout en s’accrochant de toutes ses forces au cadre de la porte. Il tenait bon, il le devait!

Il voyait toujours le couloir, mais aussi les flammes magiques des torches qui maintenant s’éteignaient, une à une. Les larmes coulaient sur les joues du jeune mage qui s’arrachait les ongles sur le bois à force de désespoir et de lutte contre cette puissante et encore inconnue créature.

La chaleur de la salle était infernale, ses jambes le faisaient brailler sans retenue, mais il tenait bon. L’immense main relâcha son étreinte, il allait y arriver!

- HA HA HA HA HA!

Dans un lourd et sonore fracas, la porte de la salle se referma sur les doigts du jeune mage qui luttait pour sa vie. Plus un seul cri; que le silence nocturne des longs couloirs du troisième étage de la tour de la faculté des Arcanes et des Sciences de Dwyr-Aldaran. La fraiche brise printanière revînt danser entre les colonnes de pierres, les torches magiques se rallumèrent tranquillement et finirent par éclairer, devant la porte de la salle de classe, les longs doigts ensanglantés de Luciano, recroquevillés dans la douleur.