dimanche 1 septembre 2013

Parler

L'homme qui se trouvait devant elle n'avait rien de particulier. C'est ce qu'il disait qui la rendait triste : il voulait mourir. Il lui avait avoué qu'il y avait pensé plus d'une fois. Ce n'est pas la première fois qu'elle entendait cela, c'était son boulot après tout. Mais elle ne comprenait pas pourquoi cet homme était si triste. Elle comprit plus tard que c'était son imagination qui alimentait des espoirs et des rêves que lui-même ne comprenait pas. Mais tenter de l'extirper de là allait le rendre tout simplement fou.

Il pensait parfois à la pendaison, d'autre fois à des lames et finalement, il s'était même renseigné afin de se procurer une arme à feu. C'est sa tête qui ne s'arrêtait jamais. Il n'avait jamais l'air en contrôle de son esprit qui se promenait d'une idée à l'autre, d'un problème vers un malheur annoncé. On avait beau lui dire que tout pouvait s'arranger et même s'il y croyait, son regard restait l'un des plus tristes qu'elle avait rencontré. On pouvait bien lui dire qu'il n'était pas le seul à souffrir, qu'il y a des gens qui souffrent beaucoup plus que lui...mais cela ne changera rien à ce qu'il est et ressent. Elle avait bien compris qu'il était empathique, ouvert et généreux, mais elle s'est vite rendu compte que de comparer les souffrances ne servira jamais à rien.

Les semaines passaient et elle se demandait toujours si elle allait le revoir. Mais tous les mercredis, il venait cogner à sa porte pour essayer de comprendre. Il parlait sans cesse, il parlait de lui et gardait pour son esprit les vrais problèmes. Il se confiait parfois sur les femmes de sa vie, sur ses désirs, sur les impasses qui nourrissaient un malheur fort, tellement fort qu'il devenait difficile à cerner.

Lui-même ne réussirait jamais à découvrir pourquoi tout finissait par lui faire fermer les yeux. Même la plus grande des douceurs lui faisait regretter qu'elle ne soit pas plus amère. Au fil du temps, comme lui, elle s'était accommodée de son regard toujours en attente et de l'abandon qui conduisait son coeur. Au moins, elle lui permettait d'exprimer le peu qu'il déchiffrait dans ses larmes soudaines et sa solitude harcelante. Il était étonné de voir qu'il se refusait depuis peu aux marques d'affection, surtout les physiques...il avait peur, mais ne savait de quoi.

Il lui avait déjà raconté qu'un jour il se trouvait seul assis à son bureau. La journée se passait comme toutes les autres, mais il se mit à penser à autre chose, à une vie différente, à une vie moins uniforme que la veille. La radio jouait en bruit de fond, ses collègues tournaient autour de lui, son écran ouvert devant ses yeux, mais il n'y avait plus rien pour  le ramener à son existence. Le tout se terminait toujours par des sanglots étouffés. Il confia à cette femme que ces absences mélancoliques venaient tous les jours le corriger, le distraire et le sortir du quotidien pour lui jouer un tour.

C'est la dernière fois qu'elle lui parla. Rien de spécial ou de grandiose pour cette dernière visite; que la même salutation qu'il lui offrait toutes les semaines : ''Merci , on va peut-être se revoir la semaine prochaine...qui sait ?''