L'homme qui se trouvait devant elle n'avait rien de
particulier. C'est ce qu'il disait qui la rendait triste : il voulait mourir.
Il lui avait avoué qu'il y avait pensé plus d'une fois. Ce n'est pas la
première fois qu'elle entendait cela, c'était son boulot après tout. Mais elle
ne comprenait pas pourquoi cet homme était si triste. Elle comprit plus tard
que c'était son imagination qui alimentait des espoirs et des rêves que
lui-même ne comprenait pas. Mais tenter de l'extirper de là allait le rendre
tout simplement fou.
Il pensait parfois à la pendaison, d'autre fois à des lames
et finalement, il s'était même renseigné afin de se procurer une arme à feu.
C'est sa tête qui ne s'arrêtait jamais. Il n'avait jamais l'air en contrôle de
son esprit qui se promenait d'une idée à l'autre, d'un problème vers un malheur
annoncé. On avait beau lui dire que tout pouvait s'arranger et même s'il y
croyait, son regard restait l'un des plus tristes qu'elle avait rencontré. On
pouvait bien lui dire qu'il n'était pas le seul à souffrir, qu'il y a des gens
qui souffrent beaucoup plus que lui...mais cela ne changera rien à ce qu'il est
et ressent. Elle avait bien compris qu'il était empathique, ouvert et généreux,
mais elle s'est vite rendu compte que de comparer les souffrances ne servira
jamais à rien.
Les semaines passaient et elle se demandait toujours si elle
allait le revoir. Mais tous les mercredis, il venait cogner à sa porte pour
essayer de comprendre. Il parlait sans cesse, il parlait de lui et gardait pour
son esprit les vrais problèmes. Il se confiait parfois sur les femmes de sa
vie, sur ses désirs, sur les impasses qui nourrissaient un malheur fort,
tellement fort qu'il devenait difficile à cerner.
Lui-même ne réussirait jamais à découvrir pourquoi tout
finissait par lui faire fermer les yeux. Même la plus grande des douceurs lui
faisait regretter qu'elle ne soit pas plus amère. Au fil du temps, comme lui,
elle s'était accommodée de son regard toujours en attente et de l'abandon qui
conduisait son coeur. Au moins, elle lui permettait d'exprimer le peu qu'il
déchiffrait dans ses larmes soudaines et sa solitude harcelante. Il était
étonné de voir qu'il se refusait depuis peu aux marques d'affection, surtout
les physiques...il avait peur, mais ne savait de quoi.
Il lui avait déjà raconté qu'un jour il se trouvait seul
assis à son bureau. La journée se passait comme toutes les autres, mais il se
mit à penser à autre chose, à une vie différente, à une vie moins uniforme que
la veille. La radio jouait en bruit de fond, ses collègues tournaient autour de
lui, son écran ouvert devant ses yeux, mais il n'y avait plus rien pour le ramener à son existence. Le tout se
terminait toujours par des sanglots étouffés. Il confia à cette femme que ces
absences mélancoliques venaient tous les jours le corriger, le distraire et le
sortir du quotidien pour lui jouer un tour.
C'est la dernière fois qu'elle lui parla. Rien de spécial ou
de grandiose pour cette dernière visite; que la même salutation qu'il lui
offrait toutes les semaines : ''Merci , on va peut-être se revoir la semaine
prochaine...qui sait ?''