jeudi 13 décembre 2012

Le Lâche

Des réfugiés arrivaient en masse à la forteresse demandant protection au seigneur de la région. Gregor assista la garde seigneuriale pour diriger la foule à l'intérieur de l'enceinte du château. Il fut, jadis, l'un d'entre eux : un garçon qui se sauvait devant les soldats, la guerre, la violence et la cruauté. Il était beaucoup trop sensible pour un soldat.

Il distribuait quelques couvertures et des vivres quand un gamin tira sur sa manche pour attirer son attention.

-Monsieur, est-ce que vous pourriez aller chercher mon frère ? dit le jeune garçon visiblement très inquiet.
-Je ne peux pas quitter mon poste petit. Où est ton frère ? Pourquoi n'est-il pas avec vous ?
-Il est resté chez nous pour protéger le village. Il est soldat vous savez. Mais il est tout seul.

Le jeune garçon reniflait et des larmes coulaient le long de ses joues.

-Il est soldat ? demanda Gregor intrigué.

Il serait beaucoup plus utile ici à défendre les murs avec nous, pensa-t-il.

-Écoute, je vais partir avec la patrouille dans une heure. Je vais tenter de me rendre à ton village et ramener ton frère. Décris-moi votre maison et je ferai de mon mieux pour le ramener. En attendant, je veux que tu veilles sur ta famille et que tu restes fort. Compris ?

Le petit garçon, au prix d'un incroyable effort, cessa de pleurer, fît un signe de tête et reparti vers sa famille.

Ce ne fut pas bien compliqué pour Gregor de se rendre au village. Il était un excellent pisteur et feint d'avoir aperçu les traces d'une petite troupe. Il se proposa pour pister ces ennemis imaginaires.

Le village était désert. Il avait déjà tué plusieurs charognards avant d'arriver au village. Les hordes du nord n'étaient pas encore en vue : aucun cor de guerre, pas de cri; que le vent qui soufflait anormalement fort. Il tenta de se rappeler la description que lui avait donné le gamin : une petite maison pierre aux volets verts près de laquelle se trouvait l'écurie du village. Quelques minutes suffirent pour trouver la maison. Le jeune soldat s'appelait Arald; Gregor s'approcha tranquillement de la maison et appela le jeune soldat.

-Arald tu es là ? Je viens du château. Je suis venu te chercher. Ta famille est à l'abri derrière les murs de la forteresse. Viens les rejoindre, tu pourras t'occuper d'eux et nous aider à défendre les autres réfugiés.

Son appel resta sans réponse. Il répéta à plusieurs reprise le nom du soldat jusqu'à ce qu'il soit à l'une des fenêtres de la maison aux volets verts. Adossé au mur, il passa la tête pour regarder par la fenêtre et vérifier si la maison était déserte. On voyait très bien à l'intérieur : le temps était nuageux et un feu brûlait dans l'âtre de la maison. En scrutant l'intérieur, il vit Arald là au milieu de la pièce.

Une colère incontrôlable le gagna. Il se dirigea aussitôt vers la porte d'entrée et l'enfonça d'un seul coup de pied. Le bois du cadre se brisa et la porte se trouva sur le sol. Arald se trouvait là entre la table et l'âtre; la peau blanchit, la langue sorti de sa bouche et un corde autour du cou. Le frère était pendu à une poutre du plafond.

Gregor était enragé : pourquoi avait-il fait ça ? Quel lâche ! Il avait laissé partir sa famille sans protection et n'avait même pas eu le courage de rester en poste comme il l'avait dit à son jeune frère. Gregor fit un pas en avant pour se rapprocher du corps et le décrocher et senti quelque chose sous son pied. Il s'agissait d'un bout de parchemin. Il le ramassa et se mît à lire :

''Il y a bien longtemps que j'y songe. Depuis que je suis revenu du nord avec cette blessure, je ne sers plus à rien. Je ne peux plus me battre, je ne peux pas aider aux travaux dans le village et même ma fiancé m'a laissé. J'occupe mon esprit en enseignant les lettres à Arnaud, mais le coeur n'y est pas. Je crois sincèrement que je ne trouverai plus jamais le bonheur. Je regarde ce qu'est devenu mon village et j'ai peur. Peur de ce que les gens sont près à faire pour quelques pièces et du manque de solidarité. Peur du jugement des autres. Peur de la solitude qui me suit depuis mon retour. Peur de ce que je suis; parce qu'au fond j'ai terriblement changé. Je suis incapable de comprendre ce que je dois faire ici. Je ne suis pas fait pour vivre dans un monde si convenu, je ne suis pas fait pour vivre avec des gens qui ne comprennent pas qu'on peut être autre chose qu'un mouton...je ne suis pas fait pour vivre.

Au fond, j'ai toujours su que j'allais mourir comme ça. Au début, je croyais que ce serait une lame qui m'emporterait. Celle d'un autre sur le champ de bataille ou la mienne. Finalement, j'ai vu mon sang coulé quelques fois, mais jamais assez. J'ai bien pensé au vide pour m'y jeter, mais ma peur m'a gardé au fond de mon terrier. C'est ma dernière compagne, la solitude, qui m'a aidé en me suggérant de profiter de la guerre pour faire fuir les autres et garder ce moment pour moi. M'étouffer ou me briser le cou grâce à une corde...rien de noble mais il fallait bien que ça se fasse. Quand les gens nous oublient ou nous chassent de leurs vies...on est déjà mort.

Je quitte ma vie sans regret. Je ne voulais pas faire de mal à ma famille ni à mes amis. Mais il s'agit de ma fin. Au moins j'ai choisi ma propre fin. On m'a déjà dit que je parlais trop, que je devrais être sérieux et penser à une vie plus rangée. C'est ce que j'ai fait : je suis devenu soldat, je me suis battu, je suis revenu blessé parce que je ne suis pas l'homme que les autres voulaient que je sois. J'ai continué à parler, mais surtout à écrire. J'ai changé bien malgré moi. Je suis passé d'amoureux à triste puis tout simplement absent. Je n'étais pas fait pour vivre, mais pour aimer.

Adieu. Arald. ''

Gregor ne comprenait pas ce qu'il lisait. Qui était cet homme ? Un vrai soldat serait à son poste. Un homme ne pouvait pas écrire quelque chose de la sorte. Il devait être malade, atteint d'une fièvre...non. Cet homme était tout simplement un lâche qui ne pouvait plus contrôler sa folie. Tout simplement.

Il déchira la lettre d'adieu d'Arald et la jeta au feu. Il prit un morceau de bois qui se consumait lentement dans l'âtre et se dirigea lentement vers le corps qui se balançait encore au bout de sa corde. Gregor posa un dernier regard dégoûté au cadavre et y mît le feu. Il s'assura que les flammes de répandaient à toute l'habitation avant de quitter.

Malheureusement, Gregor est arrivé trop tard. Des éclaireurs ont attaqué le village et son dernier habitant. Arald réussi à en abattre trois avant de succomber aux coups de ses assaillants qui étaient en surnombre. Les éclaireurs mirent le feu au village avant de continuer leur chemin. Arnaud allait être fier de son frère le courageux.